les mots – Kontnü https://kontnu.com Contenus - Sratégies - Expériences Fri, 15 Jan 2021 13:40:12 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.14 https://kontnu.com/wp-content/uploads/2018/11/cropped-kontnu-favicon-32x32.png les mots – Kontnü https://kontnu.com 32 32 Les écrivains ont-ils leur place dans l’entreprise ? https://kontnu.com/ecrivains-entreprise/ https://kontnu.com/ecrivains-entreprise/#respond Mon, 23 Mar 2020 11:09:19 +0000 https://kontnu.com/?p=10023 Tous les arts ont leurs lieux et leurs modes de transmission. Si vous voulez apprendre à dessiner, à danser, à jouer d’un instrument ? Il y a les ateliers d’artistes, les conservatoires, les leçons particulières… A l’heure où chacun est […]

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Tous les arts ont leurs lieux et leurs modes de transmission.

Si vous voulez apprendre à dessiner, à danser, à jouer d’un instrument ? Il y a les ateliers d’artistes, les conservatoires, les leçons particulières…

A l’heure où chacun est en capacité de prendre la parole sur les réseaux, les techniques d’écriture doivent aussi avoir leur lieu de transmission. C’est en tous les cas l’intuition à l’origine de la création, en 2017, de l’école d’écriture Les Mots, une “école d’écriture d’un nouveau genre, ouverte à tous” dont Elise Nebout, une de ses fondatrices, est venue nous parler.

Pourquoi des écrivains en entreprise ?

Pourquoi demander à des écrivains d’intervenir en entreprise ? Est-ce une idée si saugrenue ? Pourquoi mieux écrire est-il si important ?

En fait, Avec l’avènement d’Internet comme espace d’expression, de prise de parole pour émettre une opinion, les stratégies de contenu sont devenues incontournables. Et pour cela, savoir écrire est un minimum nécessaire. Or, qui mieux que les écrivains, dont les mots sont le métier, pour apprendre à manier une langue, un argument, une émotion.

L’inéluctable recherche de sens

Les entreprises occupent cet espace et engagent via leurs contenus une relation avec leurs clients, sur des marchés concurrentiels. Ces clients sont en attente de sens.

Transmettre ce sens est donc fondamental pour l’entreprise à l’extérieur. Mais l’écrit est aussi partout à l’intérieur de l’entreprise, dans tous les services : mails, discours, présentations, réseaux sociaux…

Les mots sont les lieux de la pensée, ils apportent de la valeur. C’est dans les mots que tout s’élabore et s’articule. Encore faut-il que les collaborateurs aient justement les mots pour s’exprimer.

Écrire est un métier

Via la question des mots, on aborde donc celle des compétences et techniques d’expression des collaborateurs. Or, écrire est un métier !

L’illusion provient du fait que nous avons tous appris à écrire à l’école. Or nous ne maîtrisons pas tous l’écriture.

Par exemple, réaliser une interview, c’est aller à la pêche aux informations : il existe des techniques pour trouver un angle. Ces techniques sont largement éprouvées par les écrivains habitués à attirer et retenir l’attention.

L’école des Mots

L’école Les Mots est née d’une conviction : faire se rencontrer deux mondes différents, l’économie et la littérature.

Elle est issue du mélange entre la science et la création, la sensibilité littéraire qui fait parfois défaut aux esprits scientifiques.

C’est aussi la création d’un lieu moderne, où on met l’accent sur l’excellence et l’expertise : elle s’appuie sur l’expérience de 150 écrivains, qui ont publié dans des maisons d’édition, qui sont allés au bout de l’exercice de l‘écriture de 200 pages. Ils sont publiés et lus, voire parfois primés.

Aujourd’hui, 300 personnes sont passées par l’école Les Mots et Frichti, Birchbox, MyLittleParis font partie des entreprises qui font confiance à sa capacité à transmettre les bons mots.

Par exemple, chez Suricate Consulting, spécialisé dans la transformation numérique, l’école Les Mots a accompagné la production d’articles, alimentant la stratégie de contenu durant un an.

Pour Amandine Péchiodat, co-fondatrice MyLittleParis, la problématique était de retrouver l’inspiration, et de stimuler la culture générale des rédacteurs pour qu’ils sortent du “tunnel de Pinterest”, cette tendance générale à reproduire ce que tout le monde fait sur les réseaux.

L’écrivain est là pour ça : inspirer et redonner du peps !
Il ouvre de nouvelles pistes. Il offre une vision, et apporte sa méthode d’écrivain en entreprise.

Les écrivains ouvrent donc leur “boîte à outils” pour toucher les sensibilités des collaborateurs, à leur manière. Dans cette boîte à outils, on y trouve leur savoir-faire.

Nous sommes souvent pleins de fausses idées concernant l’écriture : la première étant que la capacité d’écrire serait un don. Il n’y a rien de moins vrai. L’écrivain possède un savoir-faire qui s’apprend. Se lancer et laisser la pensée s’élaborer est primordial.

Nous commettons tous des erreurs de débutant en matière d’écriture. Grâce au savoir-faire des écrivains dont c’est le métier, on peut les corriger.

Apprendre à écrire signifie aussi dépasser les clichés de langage, le manque de tension narrative,  surtout dans les formats longs. Des clichés qu’on peut aussi apprendre à détecter pour les contourner.

Mieux écrire permet d’avoir des collaborateurs mieux engagés, développer des compétences. Mieux écrire nourrit la stratégie de contenu des entreprises et permet de progresser sur la route de leur engagement.

Qu’on se le dise. Les écrivains commencent à entrer dans les entreprises. Et ils vont y rester.

Propos recueillis par Anne-Charlotte LE DIOT lors du colloque Kontinuüm sur le pouvoir des mots.

Photo (c)Raphaël de Bengy


Pour aller plus loin, savourez le podcast « Un train peut en cacher un autre » dans lequel Elise Nebout échange avec Pascal Beria sur la manipulation des symboles, sous la conduite de Muriel Vandermeulen.

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[Podcast] Langage clair et pouvoir des mots https://kontnu.com/podcast-langage-clair-pouvoir-des-mots/ https://kontnu.com/podcast-langage-clair-pouvoir-des-mots/#respond Wed, 12 Feb 2020 14:54:49 +0000 https://kontnu.com/?p=9932 Le pouvoir des mots vient-il de leur simplicité, de leur accessibilité. Un langage clair est-il plus puissant qu’un jargon, qu’un indice de lisibilité de niveau universitaire ? Dans le cadre de notre colloque « KONTINÜUM II | Le pouvoir des […]

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Le pouvoir des mots vient-il de leur simplicité, de leur accessibilité. Un langage clair est-il plus puissant qu’un jargon, qu’un indice de lisibilité de niveau universitaire ?

Dans le cadre de notre colloque « KONTINÜUM II | Le pouvoir des mots », Muriel Vandermeulen, membre fondatrice de l’association Kontnü et son équipe de We Are the Words ont posé leurs valises pleines de micros à Paris pour animer un podcast.

Sur ce thème de la rédaction claire, nous avons eu l’immense plaisir d’accueillir Anne Vervier, consultante et conférencière, membre de KONTNÜ, qui s’était exprimée lors de notre colloque, sur la rédaction claire, et Sonia Milanello, architecte de l’information et content designer, également membre de KONTNÜ.

Au coeur du langage clair ?

Qu’est-ce qu’un langage clair, comment le mesure-t-on ? Est-ce vraiment si simple ? Quelles conditions, quelles compétences sont requises ? En quoi la rédaction claire influe-t-elle sur le pouvoir de nos mots ? Le langage clair est-il compatible ou pas avec le SEO ou le SXO comme on préfère l’appeler aujourd’hui ?

L’essor du Web a-t-il changé le langage clair ?

Internet et les nouveaux médias ont-ils influé sur l’attrait — la nécessité — même de pratiquer une rédaction claire. D’une part, l’écrit écran a nécessité un apprentissage : il a fallu adapter notre rédactionnel aux contraintes d’espace, d’affichage, de lecture. Mais aussi, mais surtout, le Web a permis à tout un chacun, au plus commun des mortels de prendre la parole sur la Toile. Est-ce que cette libéralisation à tout crin de l’écriture a changé le sort du langage clair. Est-ce que ce dernier a aidé à formaliser l’écriture web ?

Rédaction claire et SXO

Quand on parle de langage clair, on ne peut pas ne pas évoquer l’expérience utilisateur, puisque c’est le but de la rédaction claire : optimiser l’expérience client à travers un texte lisible, directement compréhensible. Et quand on parle expérience client sur les médias digitaux, on parle forcément de SXO ou search experience optimisation. Quels liens avoués les deux disciplines entretiennent-elles.

Pour tout savoir, écoutez le podcast ! Et par-ta-gez-le !

Vous appréciez nos contenus et notre cause ? Rejoignez-nous !

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La privatisation des mots https://kontnu.com/la-privatisation-des-mots/ https://kontnu.com/la-privatisation-des-mots/#respond Fri, 10 Jan 2020 14:05:36 +0000 https://kontnu.com/?p=9861 Les mots sont la matière première du web. On l’a souvent répété, Google ne serait qu’une coquille vide sans contenu à indexer et des plateformes comme Twitter ou Facebook sonneraient creux si elles n’avaient rien à relayer. Ces acteurs ont […]

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Les mots sont la matière première du web. On l’a souvent répété, Google ne serait qu’une coquille vide sans contenu à indexer et des plateformes comme Twitter ou Facebook sonneraient creux si elles n’avaient rien à relayer. Ces acteurs ont toutefois pris une telle importance dans la production éditoriale qu’ils influencent aujourd’hui la manière d’écrire et vont jusqu’à fixer les règles de succès d’un contenu. Un risque pour la créativité mais aussi pour la pluralité de l’information.

Les mots sont un capital universel. Même si, comme toute richesse, ils ne sont pas toujours partagés équitablement, force est de constater que plus on s’en sert, plus ils s’enrichissent. « Le vocabulaire est un riche pâturage de mots » écrivait Homère. Piocher dans un lexique pour en sortir un sens, une histoire, une émotion est le grand pouvoir des poètes et du tribun. Mais c’est aussi, plus prosaïquement, un moyen pour quiconque a besoin de traduire une idée, bâtir un argument, passer un message. Dans tous ces domaines, la richesse des mots sert la nuance, qui est sans doute ce qui manque aujourd’hui le plus dans le débat démocratique ou les diatribes sur Twitter.

Des contenus de qualité ?

Seulement voilà, cette richesse des mots est aujourd’hui attaquée. Non par le seul appauvrissement de la langue, qui reste à démontrer, mais par un mécanisme plus perfide de captation des mots par de multiples acteurs. Les critères de référencement naturels fixés par Google en sont sans doute l’exemple le plus probant. La firme de Mountain View a fixé la qualité des contenus comme un critère essentiel dans les guidelines à destination des Search Quality Raters et le mode de calcul de son PageRank. Une volonté louable qu’on ne peut que saluer. Mais dans les faits, même si beaucoup d’effort sont faits, les modes d’évaluation de cette qualité restent pour le moins évasifs et avant tout fixés sur une analyse quantitative de ces contenus, prérogative du moteur de recherche aux 7 milliards de requêtes quotidiennes.

Ce qui est bon pour nous est bon pour vous

Ce n’est toutefois pas tant la méthode qui est à critiquer que le fond. Après tout, l’Académie Française fixe aussi arbitrairement des normes de qualité des contenus qui peuvent être discutées. En revanche, le fait qu’un acteur non représentatif puisse décider unilatéralement de ce qui est bien et bon, et soit de plus en capacité d’imposer cette vision au plus grand nombre, est pour le moins sujet à caution. On est donc en droit de se poser la question de la qualité d’un contenu selon les critères d’un algorithme maniant mal la nuance, le jeu de mot, le contresens ou toute autre figure de style qui font la richesse des mots. On a surtout le devoir de critiquer l’impossibilité de remise en cause de ces critères. Google, par son souhait initial d’universalité, contribue finalement à l’assèchement de cette richesse et contraint toute créativité dans notre manière d’écrire par une forme de mimétisme formaté par ses critères. Après tout, le « J’accuse » de Zola n’aurait aujourd’hui sans doute aucune chance de performer dans les résultats du moteur de recherche. Je vous laisse imaginer le titre que Google serait amené à proposer pour assurer son optimisation. Aïe…

Mot et SEO

Le pouvoir des mots s’émousse donc face à celui des algorithmes, qui jouent le rôle de portier du net. Un acteur comme Google décide aujourd’hui du succès ou de l’échec d’un mot. Par le mécanisme de l’offre et de la demande fixé par le service AdWords, un mot populaire est donc susceptible d’être promu alors qu’un autre, peu utilisé ou trop savant, sera relégué sur la longue traîne et susceptibles d’être sorti du lexique sans autre forme de procès. Plus un mot a de succès, plus sa cote sera haute. C’est ici la loi du plus grand nombre qui fait office de curation. Ce principe de cotation des mots sur le principe de l’offre et de la demande fixe également une valeur marchande à un mot sur le marché de la recherche en ligne. Chaque mot a un prix fixé par l’AdWord ce qui, d’un point de vue éthique, est aussi sujet à caution. On assiste donc à une forme de « capitalisme sémantique » induit par une privatisation des mots et une captation de leur valeur par un acteur privé. Vertigineux.

Les biais technologiques

Cette position monopolistique a aussi pour conséquence de provoquer des biais qui peuvent avoir des répercussions non négligeable. A titre d’exemple, la rédactrice web Marie Pouliquen a annoncé avoir pris la décision de se présenter en tant que « rédacteur » sur son site pour plaire au moteur de recherche. « Si je me présente comme « rédactrice », je perds des prospects, des parts de marché » témoigne-t-elle sur son blog. En effet, chiffre à l’appui, un « rédacteur web » reçoit de 1000 à 10000 requête mensuelle en moyenne alors qu’une « rédactrice web » oscille entre 100 et 1000. Aucun rapport avec une quelconque compétence : ce sont les critères de recherche des internautes, reliés mécaniquement par l’algorithme, qui ont tranché. Un méchant biais sexiste qui aurait quand même du mal à passer dans la vraie vie.

La réponse est 42

Un autre biais de cette simplification technologique concerne la nuance des résultats de recherche. Google favorise aujourd’hui les résultats uniques via ses knowledge graphs, features snippets et autres données structurées qui permettent à l’internaute d’obtenir directement dans la page de recherche la réponse à sa requête ou, pour ceux concernés, sur une enceinte connectée et autre interface sonore. Près d’un internaute sur deux s’arrête aujourd’hui aux résultats de recherche,  sans prendre la peine d’accéder au site référencé, ce qui constitue autant un manque à gagner pour l’éditeur du site que, pour ce qui nous préoccupe, une orientation des réponses vers un résultat forcément tranché. Le moteur de recherche s’accapare ainsi ce qui représente une vérité selon ses propres critères. Un peu à la manière du super ordinateur « Grand Compute Un » répondant à la « grande question sur la vie, l’univers et tout le reste » par le nombre 42. Une simplification qui se traduit par un risque évident pour la qualité et la pluralité de l’information.

Choix éthique et perte de souveraineté

Cette privatisation des mots va encore plus loin avec les scandales qui secouent le monde de la tech ces dernières années. Au premier rang duquel on peut citer la responsabilité des grandes plateformes comme Facebook dans la propagation des fake-news et des contenus de propagande. Preuve que les mots sont des grands pourvoyeurs d’influence et de manipulation. « Donc, vous ne supprimez pas les mensonges. C’est une question simple : oui ou non » a demandé la représentante démocrate américaine Alexandria Ocasio Cortez à un Mark Zuckerberg retranché dans ses filets, lors de son audition devant le Congrès américain. Une question simple qui en appelle une autre : comment juger d’un mensonge sur un mot et est-ce vraiment à une entreprise privée de juger de la vérité. Sans exempter les plateformes sociales de leurs responsabilités en matière de désinformation, une telle posture traduit la volonté de confier à une entité privé la capacité de décider ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Une « vérité souveraine » généralement confié au pouvoir judiciaire.

« Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion » écrivait Hannah Arendt. Mélanger les pouvoirs conduit généralement aux pires dictatures. Prenons garde à ne pas confier le pouvoir des mots à n’importe qui. Ils sont notre plus grand bien commun.

Pascal Beria

Crédit photo : Brett Jordan

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La temporalité des mots https://kontnu.com/la-temporalite-des-mots/ https://kontnu.com/la-temporalite-des-mots/#respond Fri, 10 Jan 2020 14:01:37 +0000 https://kontnu.com/?p=9859 « Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant » clamait Victor Hugo. Le mot invite à l’action, à la contemplation, inspire ou se désiste. Il naît, grandit et puis, parfois, meurt. On ne sait trop pourquoi, certains font carrière […]

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« Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant » clamait Victor Hugo. Le mot invite à l’action, à la contemplation, inspire ou se désiste. Il naît, grandit et puis, parfois, meurt. On ne sait trop pourquoi, certains font carrière alors que d’autres demeurent oubliés au fond des dictionnaires. Dans tous les cas, les mots sont des marqueurs de leur époque. En matière de rhétorique et de communication, cette temporalité des mots fixe trop souvent les conventions du moment. Ils sont alors répétés jusqu’à l’usure pour finalement perdre leur sens. C’est alors que les mots deviennent dangereux…  

Toute chose à besoin d’être nommée avant que d’exister. C’était autrefois le privilège des explorateurs et des savants que de donner un nom à leur découverte. Avant Pasteur, point de pasteurisation. Avant Amerigo Vespucci, point d’Amériques. Et on peut assurément dire que la technologie est née en 1777, le jour où le physicien Johann Beckmann inventa le mot pour son manuel. Nommer, c’est donc créer. « Un mot nouveau est une aventure (politique) et non un programme (biologique). C’est un processus, non un état » nous dit Régis Debray, lui-même créateur de la médiologie. Le mot, comme le langage, est une entité vivante et qui, en tant que telle, évolue. Le dictionnaire constitue, à ce titre, une photographie éloquente de chaque époque.

Les mots, signe des temps

Chaque année, à peu près 150 nouveaux mots entrent dans le dictionnaire alors que d’autres sont poussés vers la sortie. Autant de naissances et de morts. L’excellent Hebdo « Le Un », dans un de ses numéros consacré à « la fabrique des mots », avait confié à Alain Rey, éminent linguiste créateur du Petit Robert, l’exercice d’inventaire de l’apparition dans le dictionnaire des mots qui avaient marqué leur temps. On y recensait le micro-ordinateur (1971), les Boat-people (1975), l’action de zapper (1986), les altermondialistes (1990), la parité (1999) ou l’uberisation (2014). 2020 aura vu l’arrivée des locavoristes, des slasheurs, des adulescents, de la cryptomonnaie et du bore-out dans les pages du Petit Larousse. Tous marquent, d’une manière ou d’une autre, les usages et les angoisses de chaque époque, mais aussi la formalisation de ces concepts dans la société. Ils signent ainsi l’extrait de naissance d’une réalité.

Grandeur et décadence

Si les mots naissent un jour, il est donc naturel qu’ils se dégradent aussi avec le temps. Qui se souvient aujourd’hui des délicieux baladinage ou chapechute ? Qui fait encore appel à un tabellion pour ses affaire personnelles? Qui utilise l’amphigourique en rédigeant ses mails ? Des mots totalement disparus des radars mais qui désignent pourtant toujours bien quelque chose ou quelqu’un. La disparition d’un mot ne signifie donc pas pour autant la disparition de ce qu’il désigne. Elle peut en revanche marquer une volonté parfois critiquable d’écarter un principe de langage pour en imposer un autre, plus commode ou plus acceptable. A titre d’exemple, le terme de tiers-monde, apparu en 1952 sous la plume de l’économiste Alfred Sauvy, a aujourd’hui disparu des usages sans pour autant que la misère se soit particulièrement résorbée de par le monde. Notons qu’inversement, les dinosaures ne courent plus vraiment les rues, mais le terme reste, lui, très usité dans les cours de récréation.

Les mots qui « font école »

Cette évolution des usages des mots raconte les époques. Un détour par Google Trends suffit à fournir un modèle précis des préoccupations du moment. Le travail de collecte, chaque année, des éléments de langage que réalise Jeanne Bordeau  permet quant à lui de mieux se rendre compte de l’évolution de ces préoccupations depuis une dizaine d’années. Cet exercice nous montre que les mots, au travers des époques, sont souvent les représentants d’une idéologie dont ils ont parfois du mal à se défaire. Ils marquent une capacité à « faire école », à fédérer, à préempter un territoire et un sens et, potentiellement à être détournés au profit d’une pensée ou d’une politique du moment. « Innovation », « disruption », « intelligence artificielle », « développement durable » sont des mots aujourd’hui répétés à l’envie dans les discours qui sont aussi porteurs d’une idéologie. Dans la même logique, l’émergence de mots-dièse comme #JesuisChalie, #Meetoo, #GiletJaune ou #lAffaireduSiecle sont autant d’étendards de ralliement à une cause que, d’une certaine manière, d’adhésion à une communauté.

Mots magiques et perte de sens

Ces « mots qui réussissent » ont, bien entendu, leur corollaire. Il existe clairement un lexique temporel des mots qui font consensus à un instant donné et se mettent étonnamment à tourner en boucle. Notamment dès que l’on se frotte au champ de la communication, avide de nouveaux concepts fédérateurs. Ce sont les « mots magiques », des formules convenues partagées par tous et qui ont l’avantage de n’engager personne. Ils se transforment peu à peu en véritables tics de langage. Quiconque ne s’est pas confronté à l’exercice de style d’utiliser les mots « bienveillance », « citoyenneté », « responsable », « participatif » ou « innovation » n’a encore rien connu du métier de rédacteur. D’autres mots, au contraire, sont peu à peu bannis du langage car trop connotés, comme c’est le cas par exemple de « banlieue », « pauvre » ou « peuple », dont la seule évocation semble accréditer l’existence. Cette mise au ban, souvent invisible et sournoise, est sous-tendue dans l’expression « on ne pourrait plus dire ça aujourd’hui » lorsque l’on se plonge dans les archives de la télé, notamment.

Parler pour ne rien dire

Le plus fort est que ce consensus n’émane souvent d’aucune forme de représentation officielle (qui serait d’ailleurs bien incapable d’y parvenir), mais s’impose par l’entremise d’une force collective qui répond aux préoccupations d’une époque. Ce formatage des mots fait partie d’un processus sociétal de fabrication du langage. Une mécanique dans laquelle c’est la langue qui pense à votre place sans nécessairement interroger celle ou celui vers qui elle se destine. Finalement, les mots se vident de leur sens et deviennent de simples signaux. C’est en un mot ce que l’on a coutume d’appeler la langue de bois. Sans doute la seule apte à traverser les frontières. Un acte de communication, donc, mais certainement pas de pensée ni d’action. C’est ce que Robert Desnos nomme le « langage cuit », un langage fatigué, figé dans des expressions toutes faites qu’il s’amusait, en bon surréaliste, à déstructurer pour leur redonner relief et saveur. Et surprendre le lecteur. Un objectif qui devrait être la finalité de tout rédacteur.

Jargon et langage clair

Si les mots partagés ne sont donc pas toujours des gages de clarté, que dire alors du jargon, qui est trop souvent l’apanage des experts et l’expression d’un pouvoir. Il constitue la plupart du temps une forme de défense d’une institution soucieuse de ne pas perdre ses prérogatives ou craignant la remise en cause de leur expertise. C’est évidemment une erreur et les grands orateurs et penseurs sont souvent ceux qui savent traduire en mots simples de sujets qui peuvent être complexes. Mais simple ne veut pas dire simpliste et il est parfois complexe de trouver les mots justes pour exprimer une idée. « Nous avons été formés à ne reconnaître que les idées claires et distinctes, bien compartimentées » professait René Descartes, à qui on ne peut pas reprocher le manque de méthode. Lutter contre le jargon et les idées nébuleuses est donc simplement une évidence pour être compris. C’est tout l’enjeu du langage clair : organiser, clarifier, lever les ambiguïtés, les formalismes et contrer les biais de temporalité à l’aide d’une écriture universelle.

Clarifier pour pérenniser les contenus

C’est évidemment un enjeu majeur de modernisation de l’action publique et une démarche essentielle en communication, dès lors que l’on cherche à n’oublier personne en route. « De façon générale, toute chose qui requiert une explication entrave la communication. Nous ne voulons pas que les gens mémorisent un glossaire simplement pour travailler au sein de Tesla » écrivit un jour Elon Musk dans un mail à ses collaborateurs. Si le langage clair s’impose dans tout acte de communication, il permet aussi de lutter efficacement contre une forme d’obsolescence programmée des contenus. Ecrire pour le plus grand monde implique de ne pas céder aux sirènes de l’opportunisme et des « mots à la mode » et des contenus jetables. Et donc de viser une certaine pérennité à ses contenus. Ce qui, dans un contexte d’infobésité et de surcharge cognitive dans laquelle nous baignons, se révèle être un acte de salubrité publique. « la logique du révolté est … de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel » écrivait Albert Camus. Visons donc la clarté de nos propos pour donner de la perspective à nos productions et ne pas contribuer à la surcharge de contenu.

Pascal Beria

Crédit photo : Annie Spratt

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Les mots pour le dire, ou l’expression de la pensée https://kontnu.com/les-mots-pour-le-dire-ou-lexpression-de-la-pensee/ https://kontnu.com/les-mots-pour-le-dire-ou-lexpression-de-la-pensee/#respond Fri, 10 Jan 2020 11:17:22 +0000 https://kontnu.com/?p=9857 Le pouvoir des mots passe d’abord par la capacité de formalisation de la pensée. On pense avec des mots et les mots servent à exprimer cette pensée. Sans eux, il n’y a pas de communication possible. C’est la base de […]

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Le pouvoir des mots passe d’abord par la capacité de formalisation de la pensée. On pense avec des mots et les mots servent à exprimer cette pensée. Sans eux, il n’y a pas de communication possible. C’est la base de la sémantique, mais ce n’est évidemment pas aussi simple. Car si le mot est une matière première essentielle pour produire des idées, il est aussi parfois incapable d’en traduire les nuances.

Si on laisse un moment le champ de la psychologie, qui prête au mot l’expression de l’inconscient et du refoulé, le mot est souvent considéré comme le plus rapide et le plus efficace véhicule de la pensée. Le mot formalise et nomme ce qui nous passe par la tête. Pourtant, quiconque s’est un jour confronté à l’épreuve de la feuille blanche ou à la prise de parole en public sait à quel point la connexion entre mot et pensée n’est pas si simple. « Je crois que nous avons plus d’idées que de mots. Combien de choses senties, et qui ne sont pas nommées ! » disait Denis Diderot, qui ne manquait pourtant pas de vocabulaire. Un sentiment auquel Hegel semble directement répondre « C’est dans les mots que nous pensons. (…) Vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. » Une opposition qui tient de l’œuf et de la poule. A en croire les deux philosophes, mots et pensées fonctionneraient dans une forme de symbiose contradictoire, entre concept et formalisation, signifiant et signifié, maître et esclave.

Quelques mots pour tout dire

Cette tension, on la retrouve communément dans l’exercice de la communication, lorsqu’il s’agit d’exprimer la complexité d’un concept ou d’une idée par une « punch-line ». Travailler sur une proposition de valeur, une signature un slogan ou, dernier né des outils marketing, une raison d’être, c’est chercher à épurer, à simplifier sans corrompre. Ce que le mot n’est pas toujours en mesure de faire. On cite aisément un « Just do it » ou « Think different » iconiques. Mais pour quelques slogans mémorables, combien de tentatives de simplification d’un concept sont allées nourrir les oubliettes des services de communication. Dans cet exercice, la pensée s’avère donc bien prisonnière de l’incomplétude des mots et du langage et doit s’appuyer sur d’autres éléments identitaires comme le logo ou le jingle.

Le sens est entre les mots

Le mot seul ne peut donc raisonnablement pas exprimer la complexité d’une pensée. Il la simplifie et, par là-même, prend le risque de l’affaiblir ou de la trahir. Toute la littérature en témoigne. Même si, il faut le reconnaître, certains auteurs virtuoses y parviennent parfois. Le pouvoir du mot est ailleurs. D’abord dans la nuance. « Entre gris clair et gris foncé » pour reprendre un titre de Jean-Jacques Goldman. Cette nuance, c’est l’intervalle qui peut exister entre deux mots dans lequel se dissimule toute la force de la pensée. Le pouvoir est aussi dans le contexte. Un mot ne se conçoit pas en valeur absolue. Il a besoin d’un environnement, d’un sujet qu’il porte, d’un locuteur qui l’exprime et d’un auditeur qui le reçoit pour révéler sa pleine valeur. Autant d’éléments subjectifs qui donnent du sens aux mots. Enfin, le pouvoir des mots est dans leur complémentarité avec les autres éléments de signification. « Les mots manquent aux émotions » disait Victor Hugo, qui avait raison. La musique, le cinéma, la danse, la peinture et, plus largement, le monde des arts nous montrent à quel point le domaine de l’émotion peut allègrement se passer de mots. L’image, le son, la tonalité ou le graphisme sont en revanche leur allié le plus puissant.

Le mot, élément de contenu

On touche ici bien évidemment au cœur de nos sujets de stratégie de contenus : pour fonctionner, inspirer, transporter, convaincre, engager et donner du sens, les mots ne peuvent fonctionner seuls. Ils vivent en symbiose avec leur environnement. C’est cet environnement qu’il est important de définir et concevoir si on veut révéler le pouvoir des mots.

Pascal Beria

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« Un mot et tout est sauvé, un mot et tout est perdu ». Ce verdict d’André Breton traduit le caractère profondément paradoxal des mots. Les mots soignent comme ils peuvent blesser à mort. Tout dépend du dessein qu’on leur donne et de l’intention de celui ou celle qui les contrôle. Car les mots sont aussi un moyen d’emprise redoutable sur les individus et peuvent être des armes redoutables de manipulation dans les mains de ceux qui seraient mal intentionnés.   

Les linguistes nous apprennent que la pensée n’existe pas en valeur absolue mais se formalise avec les mots. Mais le mot a aussi un pouvoir cognitif essentiel. Une expérience publiée en 2016 dans la revue Nature démontre que chaque mot entendu est susceptible d’imprimer une région spécifique du cortex cérébral et modèle une cartographie étrange de notre cerveau et de son métabolisme. Et que cette influence était étonnamment identique pour tous.

Cette expérience révèle l’effet direct des mots sur le cerveau, capable de se frayer un chemin parfois confus dans les arcanes de notre subconscient pour venir activer certains déclencheurs qu’on connait encore mal, mais qui sont autant de leviers d’influence de nos comportements. On comprend dès lors mieux son pouvoir catalyseur en matière d’hypnose et de psychanalyse.

« Ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses. »

nous dit Pierre Bourdieu dans son ouvrage vengeur « sur la télévision ».

Les mots pour (faire) agir

Qu’ils soient lus ou entendus, les mots agissent sur notre cerveau parce qu’ils ne sont pas uniquement porteurs d’une information brute, mais aussi capable de communiquer des émotions comme le montre cette vidéo qui a fait, en son temps, le tour du net.

Ce n’est pas un hasard si Victor Hugo qualifiait les mots d’« êtres vivants ». En matière de littérature comme de stratégie de contenus, le choix des mots est évidemment essentiel pour toucher, sensibiliser et parfois alerter. Quiconque a un jour travaillé sur une campagne de marketing de contenu sait qu’il existe des mots poisons et des mots antidotes qui conditionnent la manière dont nous réagissons. On sait par exemple que le cerveau imprime mal la négation et qu’il est préférable de dire « je vous rassure » plutôt que « ne vous inquiétez pas ». Les publicitaires connaissent aussi le pouvoir performatif de certains mots comme « argent », « gratuit », « nouveau », « santé » ou « sécurité », susceptibles de nous engager un peu plus loin dans un tunnel de conversion. Et que penser des épouvantables techniques de clickbait qui pourrissent nos écrans et mettent au défi notre capacité de résistance. Les mots, choisis à bon escient, nous poussent à agir ou nous inhibent. Ils sont choisis dans ce but.

De l’influence à la manipulation

Cette puissance cognitive des mots est souvent la chasse gardée des coachs en pensées positives et autres « mindful meditation ». Mais derrière les citations pleines de bons sentiments qui nourrissent nos timelines se cache un pouvoir beaucoup plus obscur.

« Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive. »

Ces mots de Louis-Ferdinand Céline traduisent ce pouvoir de nuisance sournois que peuvent revêtir les mots. Au premier rang duquel se placent les pratiques insidieuses du glissement sémantique, de l’euphémisation et des éléments de langages, auxquels la communication politique et corporate nous habituent et changent progressivement nos perceptions. C’est le « réfugié » qui se transforme en « migrant », la « récession » en « croissance négative », le « salarié » en « collaborateur », le « sous-traitant » en « partenaire », le « pauvre » en « défavorisé ». Deux termes, deux interprétations. Une manipulation du langage qui tient de la stratégie, selon le comédien militant Franck Lepage, qui s’amuse régulièrement à démontrer la virtuosité de la langue de bois et des effets de sens.

« Déguiser sous les mots bien choisis les théories les plus absurdes suffit souvent à les faire accepter » nous prévient Gustave Le Bon, auteur du toujours très actuel essai « psychologie des foules » qui a inspiré nombre de gentils dictateurs du siècle dernier. Du glissement sémantique à la manipulation, il n’y a donc qu’un pas. Mais un pas pour le moins dangereux et dont le mécanisme est remarquablement décrit dans le roman dystopique 1984. Orwell fait de sa Novlangue le moyen central d’endoctrinement du peuple.

« Des gens qui ne peuvent pas bien écrire ne peuvent pas non plus penser correctement, et s’ils ne peuvent pas penser correctement, d’autres le feront à leur place »

nous dit-il. En réduisant progressivement le vocabulaire, en détruisant volontairement les mots, le Pouvoir en place dans son roman cherche à rendre inopérante toute nuance de langage et empêche par conséquent toute liberté de pensée critique. Un procédé bien plus efficace que la violence pure, mais pas moins barbare. « Nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer » s’enorgueillit Syme, un des fonctionnaires responsables de la mise en œuvre de la Novlangue. « Une caractéristique des termes du discours politique, c’est qu’ils sont généralement à double sens. L’un est le sens que l’on trouve au dictionnaire, et l’autre est un sens dont la fonction est de servir le pouvoir – c’est le sens doctrinal. » précise le linguiste militant Noam Chomsky. A bon entendeur…

La manipulation par les mots est donc non violente. Elle transforme en douceur l’opinion d’une société entière. C’est ce qui la rend terriblement efficace.

« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on en avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir »

témoignait le philologue allemand Victor Klemperer dans son ouvrage « Lingua Tertij Imperii » (langue du Troisième Empire) au sortir de la guerre. Son ouvrage démontre comment la propagande Nazie n’a pas eu besoin de créer de nouveaux mots pour distiller son venin, mais simplement en détourner leur sens pour se répandre progressivement dans la langue du quotidien. Au point que les Allemands, dont la plupart n’était pas particulièrement acquis à Hitler, se sont peu à peu laissés endoctriner par cette langue simplifiée et radicalisée et dont toute rationalisation était devenue impossible. Ca ne vous rappelle rien ?

Quand l’inaudible devient plausible

Les ressorts psychologiques et sociaux qui accompagnent les mots sont donc intimement liés. En d’autres termes, un mot peut être considéré comme parfaitement intolérable dans un contexte particulier et totalement admis à une autre époque. C’est ce que décrit très bien le concept de la fenêtre d’Overton, du nom de l’universitaire américain qui en bâtit la doctrine. Cette théorie de construction des opinions démontre comment il est possible de faire peu à peu passer un concept moralement et socialement impensables à quelque chose d’acceptable et finalement raisonnable. Cette fenêtre d’acceptabilité sociale se déplacerait au gré des éléments de langage, des argumentations, des raisonnements auxquels nous sommes régulièrement soumis. A titre d’exemple, les dispositifs de surveillance de masse auquel nous sommes aujourd’hui quotidiennement soumis étaient totalement inacceptable il y a encore quelques années. Ils ont été rendu possible par un travail de sape, lent et insidieux, de fabrique du consentement s’appuyant autant sur la légitimité académique que le militantisme, le relativisme culturel et la puissance d’influence des relais d’opinion. Plus largement, cette théorie montre comment un mot, considéré comme impensable à un instant T, peut conduire au final à un acte socialement admissible. Une mécanique néfaste, à l’œuvre autant dans les invectives régulières commises sur Twitter que dans les psalmodies des chaînes d’infos, et qui nous ramène irrésistiblement à l’univers dystopique d’Orwell et de sa Novlangue.

Il faut nommer les choses

Cette théorie d’Overton rappelle l’importance de nommer les choses pour éviter d’en faire un tabou repris par les extrémismes de tous bords. Et rester attentifs à toute tentative d’altération opportuniste de nos vocabulaires qui émaille, par facilité ou par paresse, le langage du management et de l’entreprise.

« Pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d’un homme. »

témoigne Primo Levi dans son œuvre maîtresse « Si c’est un homme », nous prévenant qu’il faut se méfier de l’indicible. Car une chose n’existe collectivement que par le mot qui la nomme. Le jour où ce mot disparaît, c’est un peu de liberté qui meurt avec lui.

Pascal Beria

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La subjectivité des mots https://kontnu.com/la-subjectivite-des-mots/ https://kontnu.com/la-subjectivite-des-mots/#respond Thu, 09 Jan 2020 18:47:17 +0000 https://kontnu.com/?p=9766 Les mots ne sont pas neutres. On le sait. Ils sont aussi éminemment identitaires. Derrière chaque mot, il y a une histoire individuelle, une expérience, un ressenti. Cette subjectivité n’est pas sans effet. Elle implique qu’un mot formulé par quelqu’un […]

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Les mots ne sont pas neutres. On le sait. Ils sont aussi éminemment identitaires. Derrière chaque mot, il y a une histoire individuelle, une expérience, un ressenti. Cette subjectivité n’est pas sans effet. Elle implique qu’un mot formulé par quelqu’un puisse être compris d’une manière différente par quelqu’un d’autre. Une notion fondamentale en matière de communication.

Ce qu’il y a de bien avec les mots, c’est qu’ils sont capables de s’adapter à toutes les situations. On leur fait dire à peu près n’importe quoi aux mots. N’importe quoi, mais pas à destination de n’importe qui. Car les mots sont aussi éminemment subjectifs, pour ne pas dire intimes. Le mot porte d’abord la langue. Chaque idiome à ses propres structures, sa propre grammaire et forge intimement notre manière d’exprimer notre pensée. Ainsi, le vocabulaire Inuit aurait vingt façons de qualifier la neige alors que celui des Touareg en aurait quatre pour nommer le désert. Un foisonnement aujourd’hui menacé par la généralisation de la langue anglaise dans le domaine de l’entreprise mais aussi des publications scientifiques, tendant à uniformiser les pistes de recherche et à favoriser les chercheurs de langue anglaise, empêchant certaines grandes idées d’émerger.

Un mot, des significations

En d’autres termes, les mots sont équivoques. Ils présentent autant de biais de compréhension qu’il y a de langage. « Traduttore traditore » selon la fameuse locution italienne. Ils ne sont pas reçus de la même manière selon que l’on parle Mandarin, Swahili ou Français. Chacun investit les mots selon son propre langage, bien sûr, mais aussi sa propre culture, sa propre expérience ou son environnement. Pour un même signifiant, il existe donc sans doute autant de signifiés que d’expériences individuelles. Et il n’y a qu’à constater la difficulté pour faire valider un texte par de multiples relecteurs pour s’en convaincre.

Les mots qui rassemblent, les mots qui excluent

Cette subjectivité du mot n’est pas anodine. Elle est un puissant marqueur identitaire. Le mot est à la fois ce qui réunit et ce qui exclut. Ne pas parler la même langue, c’est ne pas appartenir au même groupe. Et je ne parle pas ici forcément des seules barrières de la langue, mais aussi du jargon et des éléments de langage dont abusent nombre de métiers et sont souvent autant de signes cherchant à protéger un pré-carré plutôt qu’à clarifier une pensée. Slang, argot ou louchébem sont autant d’usages jouant sur les mots qui ont pour fonction sociale de marquer un territoire privé. Le mot est d’ailleurs un marqueur social évident, tant il est lié à l’éloquence, à la rhétorique et à la maîtrise du langage.  

L’importance du langage commun

Appliqué aux métiers de la communication, ces marqueurs sont importants à plusieurs titres. Ils montrent d’abord à quel point il est important de savoir se défaire de ses propres jargons et usages si on veut espérer être compris par un public qui n’est pas toujours expert. Il faut savoir quitter le réflexe dogmatique qui consiste à confondre expertise et technicité. Ils montrent aussi, ce qui constitue la continuité de la démarche, qu’il est important de savoir adapter son vocabulaire à son audience. C’est la base de la rhétorique et celle de toute stratégie de contenu fondée sur le principe des personas et les techniques d’UX writing. Des méthodes qui cherchent à comprendre a priori les usages de son audience pour lui proposer des contenus qui lui parlent. Un principe qui n’a rien de nouveau puisque la rhétorique d’Aristote s’appuyait déjà sur la connaissance préalable de son auditoire pour permettre d’adapter le ton et le style de son discours et porter avec force ses arguments. Si le mot est subjectif, sa plasticité doit donc permettre de l’adapter autant que possible pour coller à son public. 

Le mot, c’est une personnalité

Cette subjectivité des mots implique également une forte propension à porter une personnalité. Un style, devrait-on dire pour rester dans le domaine linguistique. « Donnez-moi six lignes de l’écriture d’un homme et je me charge de le faire pendre » écrivait Richelieu, histoire de signifier que quelques mots en disent souvent plus sur un individu que le personnage lui-même. Quiconque à un jour eu à travailler sur la création d’un nom de marque sait à quel point le mot, même pure création, est porteur à lui seul, par ses phonèmes et ses références, d’un sens et d’un imaginaire symbolique. Définir un champ sémantique c’est une histoire de singularité. Une marque, au même titre qu’un individu, se définit aussi par les mots qu’elle utilise. Cette singularité est évidemment un fondamental en marketing. C’est aussi une question de visibilité sur le net. Définir un champ sémantique, c’est décider des mots-clés avec lesquels vous souhaitez que votre audience vous trouve. Sans analyse de ce territoire, difficile de bâtir une quelconque stratégie de référencement. Et inutile de rappeler à quel point le référencement est une clé de la performance dans la masse d’information du Net.

Le mot, élément culturel de la marque

Cette personnalité lexicale donne désormais souvent lieu à une charte éditoriale, qui permet à quiconque est en charge de la production de contenus de connaître les fondamentaux de la personnalité de la marque pour laquelle il travaille et de respecter son langage. Elle est une clé de voûte de la qualité et de la cohérence. Attention toutefois, car la singularité d’une marque ou d’une entreprise ne saurait se résumer à la subjectivité de ses contenus. La marque est un « agent culturel » selon les termes de Daniel Bô. Elle est la résultante d’une manière d’être, de faire et d’interagir avec ses environnements. Son univers sémantique fait partie intégrante de cette culture et se doit d’entrer en cohérence avec le reste de ses attributs. Autrement, gare à la schizophrénie et la perte de repère pour votre public. 

Pascal Beria

 

Crédit photo : Antenna

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Les mots du pouvoir https://kontnu.com/les-mots-du-pouvoir/ https://kontnu.com/les-mots-du-pouvoir/#respond Tue, 07 Jan 2020 18:45:47 +0000 https://kontnu.com/?p=9763 Le mot est indissociable de l’exercice du pouvoir. Dans le débat démocratique, il sert à expliquer, à démontrer et à convaincre. Encore faut-il que ce mot soit crédible et légitime. De plus en plus souvent, ce mot est aussi une […]

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Le mot est indissociable de l’exercice du pouvoir. Dans le débat démocratique, il sert à expliquer, à démontrer et à convaincre. Encore faut-il que ce mot soit crédible et légitime. De plus en plus souvent, ce mot est aussi une source d’inégalité sociale qui, bien malgré lui, tend à opposer plutôt qu’à réunir. Et ce n’est pas sans risque…

Il serait vain de parler du pouvoir des mots en valeur absolue. Le mot, en soit, est neutre. C’est, comme souvent, son emploi qui forge sa puissance ou sa faiblesse en fonction du contexte et du statut de son auteur. C’est donc à la fois le locuteur et l’audience qui en font sa valeur. Indéniablement, et sans que j’aie à m’en offusquer, mes mots ont moins d’impact que ceux prononcés par Donald Trump, Rihanna ou Booba (pardon pour le parallèle hasardeux). Pourtant, potentiellement, ces mots sont les mêmes. Ce constat évident questionne d’abord la notion d’influence, qui s’est aujourd’hui largement généralisée. En d’autres termes, une personne qui possède une audience conséquente n’est plus maître ni de ses propos, ni de ses mots. Ce qui explique la résonance que prennent certains dérapages langagiers commis dans les médias ou relayés sur les réseaux sociaux. Cet impact, aujourd’hui quasi immédiat, questionne également le pouvoir de nuisance des mots dès lors qu’ils émanent d’une institution ou d’une source officielle.

Pouvoir et déontologie

Dans ce domaine, il faut reconnaître que l’époque nous gâte. À commencer par un Donald Trump, qui a fait de la post-vérité une stratégie de souveraineté. Sans oublier la branche peu reluisante mais ô combien florissante des « fake science » qui remet en question la légitimité même de la parole scientifique. Une enquête du Monde de 2018  estime qu’il y aurait environ 10 000 revues relayant des travaux scientifiques moyennant finance, sans contrôle rigoureux de la méthode ni des résultats, soit 2 à 3% des publications mondiales. Six fois plus qu’il y a cinq ans. Des entreprises comme Coca-Cola, Exxon ou Monsanto se sont déjà fait pincer en plein délit de bricolage de résultats scientifiques. Des pratiques illicites qui discréditent la parole de toutes les entreprises et celle de leurs relais traditionnels. Conséquence directe : selon le Trust baromètre annuel publié par l’agence Edelman plus que 36% des gens font confiance aux entreprises qui s’engagent sur des sujets de société et 60% reprochent aux marques d’utiliser les causes sociétales de manière opportuniste pour vendre plus. Un constat bien morose pour les entreprises qui tentent parfois sincèrement de faire changer les choses.

Les mots pour agir

Au-delà de ces méthodes frauduleuses, deux alternatives semblent prédominer pour se faire entendre : développer la langue de bois consensuelle (qui ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui) ou développer l’outrance et la radicalité comme stratagème pour se démarquer de la masse d’information. On parvient alors à caresser la volupté du quart d’heure de gloire individuel (ou éviter le cas échéant de sombrer dans l’oubli). On en revient à Donald Trump et ses Tweets lapidaires. Le mot, à condition qu’il soit bien choisi, a le pouvoir de faire bouger les choses. « Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action » professait Hannah Arendt, cherchant par là à démontrer que le monde des idées n’était pas incompatible avec celui de l’activisme. Le mot choisi est une arme qui permet de « porter la plume dans la plaie ». Mais il suppose une condition de taille : la nécessité de trouver le « mot juste ». Et donc d’avoir le choix. C’est là que ça se complique. 

L’appauvrissement du vocabulaire

« Pour avoir le choix des mots, il faut avoir un vocabulaire considérable » disait Michel Serres dans un éloge à la langue française. Non que l’éloquence tienne nécessairement à la taille de son lexique. Andromaque, pièce maîtresse de Racine, contient moins de 1300 mots distincts. C’est dire. Mais plutôt que la richesse du vocabulaire soit surtout un marqueur d’inégalités dans la capacité à « faire agir ». On le sait, celui qui possède les mots possède le pouvoir, tant ceux-ci sont intimement liés à l’éloquence, la rhétorique et la capacité d’argumentation. « Posséder les mots et les diffuser, c’est posséder la pensée » nous dit le linguiste Claude Hagège. Dans un rapport rendu en 2007 à l’Éducation Nationale, Alain Bentolila, autre linguiste éclairé, pointait du doigt l’écart de vocabulaire existant entre les enfants de CM1. Une différence pouvant aller de 3000 à 8000 mots pour les mieux pourvus. Un écart de 2,5 qui équivaudrait à 5 années de scolarité entre les premiers et les derniers. L’appauvrissement du vocabulaire a donc pour conséquence directe de creuser les inégalités.  

Les mots et le déterminisme social

Derrière leurs allures inoffensives, les mots deviennent par là-même des éléments puissants de domination et du déterminisme social cher au sociologue Pierre Bourdieu.

« Les discours ne sont pas seulement des signes destinés à être compris, déchiffrés, ce sont aussi des signes de richesse destinés à être évalués, appréciés et des signes d’autorité destinés à être crus et obéis. »

précise-t-il dans son ouvrage Ce que parler veut dire. La capacité à manier les mots est donc un marqueur d’inégalité que l’école peine à corriger, alors qu’elle devrait être un « trésor commun », selon les vœux de Saussure, père de la linguistique moderne. Cette « suprématie linguistique » n’est pas nouvelle tant elle a toujours été l’apanage des puissants. Mais elle connait aujourd’hui un tournant crucial, puisque l’éloquence est désormais considérée par beaucoup comme une forme de sophistication, de mépris de classe et suspectée de collusion ethnocentrique. Elle dessert désormais la parole journalistique, politique et médiatique considérée comme coupée de sa base et des réalités du terrain, du « parler vrai ». Et c’est à ce moment qu’on en revient une nouvelle fois à Donald Trump et à la vague de populisme qui ébranle aujourd’hui beaucoup de démocraties. 

Trump, les mots qui divisent

En se faisant élire, Trump a résolument changé les règles du jeu des mots du pouvoir. « Le président américain a fait exploser les codes de la parole politique. Sa langue est vulgaire et confuse, truffée de fautes de syntaxe et de phrases sans queue ni tête, de sarcasmes et d’invectives – signes d’un rapport dévoyé à la réalité et à la culture » nous dit Bérangère Viennot dans son ouvrage « La langue de Trump ». Avec Trump et ses sbires, la crédibilité n’est plus ni dans le sens des mots, ni dans leur véracité, pourtant essentiels au débat démocratique. Elle fait place à une parole d’opinion, performative et porteuse de post-vérité, qui occupe désormais toute la place médiatique, notamment numérique. Le pouvoir des mots a changé de camps. Et ça peut tout changer…

Pascal Beria

 

Crédit photo : Raphael Schaller

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Le pouvoir des mots https://kontnu.com/le-pouvoir-des-mots/ https://kontnu.com/le-pouvoir-des-mots/#respond Mon, 06 Jan 2020 18:54:19 +0000 https://kontnu.com/?p=9769 Le 17 janvier 2020, l’association Kontnü organise son second colloque Kontinüum, avec le concours du Master Humanités de l’Université de Nanterre. Et avec pour thématique « le pouvoir des mots ». Un vaste sujet, qui peut tout aussi bien se conjuguer au […]

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Le 17 janvier 2020, l’association Kontnü organise son second colloque Kontinüum, avec le concours du Master Humanités de l’Université de Nanterre. Et avec pour thématique « le pouvoir des mots ». Un vaste sujet, qui peut tout aussi bien se conjuguer au pluriel, tant l’influence des mots s’exerce sur des registres variés. Des superpouvoirs convoqués par plusieurs experts qui nous permettront d’y voir un peu plus clair sur cet inconnu célèbre. Et apprendre à faire des mots nos alliés les plus intimes.

Parler du « pouvoir des mots » pourrait passer pour un poncif quand on est une association comme Kontnü. Pourtant, comme souvent, dès que l’on s’approche un peu plus près, on s’aperçoit que ce pouvoir n’est pas si simple à comprendre. « Un mot vous sauve, un mot vous tue » a dit un jour Amélie Nothomb. On est donc en droit de se demander s’il est bien raisonnable de laisser cette grenade dégoupillée aux mains de tous. 

Le colloque Kontinüum se propose donc de faire une pause et de s’interroger collectivement sur ce que les mots recouvrent. En linguistique, il sont considérés comme la particule élémentaire permettant de nommer les choses. En fait, ils sont un peu au rédacteur ce que la note est au musicien. Charge à lui, par la suite, d’en faire une simple comptine ou une symphonie. « Un chef-d’œuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre » écrivait Jean Cocteau. Le mot est une matière première inépuisable et extrêmement malléable, capable du pire comme du meilleur. Tout n’est finalement qu’histoire de choix, de syntaxe et de style. Et un peu de talent. C’est là que ça se complique sévèrement.

Les mots et le territoire

Une des premières caractéristiques des mots est leur capacité à traduire la pensée, à formaliser des concepts , même si cette capacité est parfois sujette à caution. En seconde lecture, on s’aperçoit que le mot peut aussi se révéler comme le reflet de l’identité. Si « choisir, c’est renoncer », préférer un mot à un autre est donc un premier jalon pour marquer un territoire, prendre parti, forger une personnalité. Le mot doit être à la fois capable de porter la singularité de l’émetteur mais aussi être compris par son public. C’est un acte fondamental de la communication qui se révèle dans les techniques d’UX writing, qui cherchent à nous faciliter la vie en ligne et dont nous parlera Nathalie Rilcy. Le mot et le champ sémantique qu’il détermine sont aussi des éléments fondamentaux de légitimité de l’émetteur, aujourd’hui largement remis en question par une audience de plus en plus informée et critique. Une quête de recevabilité et de sens au cœur des préoccupations de communication publique et qui sous-tendent l’ensemble de la démarche éditoriale mise en place par la métropole de Rennes. Une stratégie centrée sur l’écoute et la compréhension des utilisateurs, dont viendra nous parler Laurent Riera, son directeur de la communication.

Les mots en partage

Cette légitimité est à manier avec précaution, car les mots sont aussi trop souvent une manière d’installer l’autorité, voire la domination des « sachants » sur la foule. Un exercice du pouvoir excluant, alors même que les mots devraient être un capital commun au service de l’éducation et de l’inclusion. Les mots ne doivent donc pas rester du ressort des seuls « professionnels » journalistes, écrivains, rédacteurs ou politiques habitués à leur maniement. C’est une raison d’être de la conférence Kontinüum et une conviction forte de l’association Kontnü. C’est aussi celle d’Elise Nebout, co-fondatrice de l’école d’écriture bien-nommée « Les Mots », qui cherche à faire se rencontrer l’univers de l’entreprise avec celui de la littérature et de la narration. Elle viendra nous expliquer les vertus des ateliers qu’elle anime à destination de ceux qui n’ont pas toujours le temps de se consacrer aux plaisirs de l’écriture. 

Le choc des mots

Si les mots ont un sens, ils ont aussi une intention, une responsabilité voire une éthique qui découlent d’abord et avant tout des choix qui en sont faits. C’est la question centrale qui sera abordée tout au long de la journée Kontinüum et que Michel Olivier, professeur de philosophie à l’Université de Nanterre, propose de rappeler en ouverture du colloque. Cette responsabilité des mots sera aussi questionnée par Florence Touzé, titulaire de la Chaire Marque responsable à l’université Audencia et auteur de l’ouvrage « Marketing des illusions perdues ». Les mots sont souvent le marqueur d’une époque, d’un contexte et soumis à des champs sémantiques qui évoluent en permanence. S’ils étaient hier les véhicules d’une société de la profusion, ils peuvent devenir aujourd’hui les meilleurs ambassadeurs d’un retour à une consommation raisonnée. Les mots influencent. Les mots manipulent. Mais ils peuvent aussi donner, avec les mêmes techniques marketing, un nouveau cap dans le cadre d’une transformation de la société et des comportements, que l’association Kontnü appelle de ses vœux. 

Les mots justes

Les mots sont ainsi les particules élémentaires de la pensée, du raisonnement et de la rhétorique. Leur pouvoir n’est donc pas le résultat d’une action isolée, mais celui d’une démarche globale, en lien étroit avec les autres éléments de contenus qui les renforcent, comme le rythme, la structure, le ton, l’image, le son ou la donnée numérique. A la fois contenu de référence, garant d’une mesure de l’audience et du profilage, cette donnée nourrit aujourd’hui beaucoup de phantasmes et de suspicions. Pour Virginie Debuisson, spécialisée dans l’analyse sémantique, cette donnée doit être avant tout un allié objectif, caution d’un contenu fiable, adapté et plus précis. Un gage d’efficacité potentiellement porteuse, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, de sobriété numérique et éditoriale. 

Des mots justes pour un message efficace

Cette volonté de sobriété numérique est d’ailleurs au cœur de la démarche de l’association Kontnü. Un engagement qui recherche la durabilité, la pertinence plutôt que la seule performance. Chercher à produire mieux et raisonnablement pour éviter le trop plein de contenus qui contribue à une surcharge cognitive et, au final, à leur inanité. Une simplification et une clarification aux antipodes des contenus « Waouh », souvent sollicités mais au final rarement productifs. C’est ce que nous démontrera Muriel Gani, consultante en stratégies de contenus et membre de l’association Kontnü. Une démarche qui tient aussi de la méthode, dès lors que l’on cherche à utiliser un langage commun, à la manière d’Anne Vervier, linguiste et auteure de nombreux ouvrages sur les vertus du langage clair, ou que l’on aborde la production de contenus sous son prisme technique et nécessairement efficace, dont nous parlera Marie Girard-Choppinet, product manager chez IBM et professeure en stratégie de contenus à l’Université Denis Diderot de Paris.

La technicisation des mots

Cette recherche d’efficacité est évidemment le cœur de la révolution technologique. Il aurait donc été étonnant qu’elle ne s’invite pas dans l’univers des mots. Avec les techniques de référencement contraintes par les moteurs de recherche, tout d’abord, mais aussi celles plus émergentes liées à la reconnaissance vocale, aux chatbots, à la traduction automatique ou au traitement de la parole, qui viennent désormais concurrencer ce qui forge un point fort de notre humanité : le langage. Algorithmes et intelligence artificielle cherchent à copier la langue. Carole Lailler, docteur en sciences du langage et consultante en IA, nous expliquera également que, loin des visions dystopiques, ils sont aussi un moyen de faire progresser nos connaissances sur ses usages. 

Un pouvoir à canaliser

Éloquence, personnalité, clarté, responsabilité, durabilité. Le bilan est clair. Les mots ont bien un pouvoir multiple auquel on peut facilement rajouter leur incroyable capacité d’adaptation. Manier les mots, c’est donc potentiellement être en capacité de manier l’ensemble de ces pouvoirs. Ce n’est pas anodin. Cela implique de prendre conscience des incidences que peut avoir l’utilisation de ces mots. Et de faire preuve d’une forme de responsabilité collective, nécessaire dès lors que l’on exerce un pouvoir, quel qu’il soit. Dans un contexte d’infobésité, de remise en question de la légitimité de la parole et d’une saturation des réseaux d’information, les membres de l’association Kontnü se sont donc fixés pour ambition la mise en place d’un texte commun, partagé, opérationnel susceptible de donner un cadre pour tous ceux qui sont un jour amenés à produire du contenu. Un code déontologique issu de nos expériences collectives et de ce que nous pensons être un usage éthique et responsable des contenus. L’issue de la conférence sera donc l’occasion, pour les membres de l’association Kontnü mené par Elie Sloïm de présenter ce travail collectif, qui ne demande qu’à être enrichi de l’expérience de tous, dans le but d’en faire un document de référence et d’inspiration. Vous serez donc les bienvenus pour l’amender.

Le pouvoir des mots laisse donc augurer une journée riche en enseignements et en partage. N’hésitez pas à nous contacter si ce sujet vous intéresse et si vous souhaitez apporter votre pierre à l’édifice. Et si débattre de leur responsabilité, de leur influence et de leur intelligibilité vous semble important mais un peu technique et froid pour une matière première aussi intime, sachez que l’association Kontnü ne perd jamais de vue les indicibles plaisirs égoïstes que l’on a à débusquer et façonner les mots, transcrire les idées et explorer de nouveaux contenus. Comme le disait Jean Giono, à qui nous laisserons donc le mot de la fin : « C’est le plaisir véritablement sans aucun mélange d’écrire. D’écrire, de me livrer à ce travail de marqueterie qu’est le style, remplacer tel mot par une virgule ou remplacer cette virgule par un adverbe, allonger la phrase ou la raccourcir, sentir le rythme se faire ou le chercher […]. Alors ça, c’est mon plaisir personnel. »

Pas mieux… 

Pascal Beria

Crédit photo : Diego PH


Kontinüum est un cycle de conférence annuel organisé par l’association Kontnü en collaboration avec le Master Humanités de l’Université Paris Nanterre. Cet événement fait intervenir différents participants, professionnels de la production de contenus, universitaires, journalistes dans le but de fusionner les disciplines et de partager les réflexions sur les contenus et leur évolution. Après une première saison en 2019 dédiée au « sens », Kontinüum II aura pour thématique le « pouvoir des mots ». L’événement se tiendra le 17 janvier 2020 au pôle universitaire Léonard de Vinci de Naterre.

 

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